Dans ce numéro, on vous emmène à Toulouse à la découverte de son urbanisme climatique. Comment la ville se transforme-t-elle pour faire face à la chaleur ? Une question d’actualité au vu de la vague de chaleur du moment. A Paris, de là où on vous envoie ce numéro aujourd’hui, a été battu de jeudi à vendredi le record de la nuit la plus chaude avant une seconde quinzaine de juin, depuis le début des mesures en 1873. D’autres records sont tombés un peu partout dans le pays, comme à Toulouse justement, qui a connu 35°C mercredi, un seuil qui n’avait jamais été atteint aussi tôt dans la saison - l’ancien record datait de juin 2003.
L’adaptation n’est pas un sujet “de demain” : nous en avons besoin dès à présent. Nous vous en reparlerons. D’ici là, bonne lecture de ce reportage sur le terrain !
« Tu vois, là, l’IPR (Indice potentiel de rafraîchissement) peut être facilement amélioré »
« L’albedo ici est bien trop élevé - et puis ça, là, c’est vraiment un arbre d’ornement, il n’apporte ni biodiversité, ni rafraîchissement, ni gestion de l’eau pluviale. »
Se promener à Toulouse avec des spécialistes de l’adaptation aux vagues de chaleur, c’est faire l’apprentissage d’un certain langage. C’est aussi faire l’expérience d’un urbanisme différent.
Vous ne regardez plus un trottoir, une école ou un pont. Vous regardez un caniveau qui devrait alimenter en eau un arbre plutôt que d’y passer à côté, un nouveau revêtement qui est parfois trop sombre, parfois trop clair, des façades qui pourraient supporter des ombrières, un parking en vous demandant « et si c’était une forêt ? ». Bref, vous changez de lunettes.
Car c’est bien cela le premier apprentissage de notre journée d’étude à Toulouse : s’adapter au changement climatique dans les villes passera par une multitude de petits gestes. C’est rue par rue qu’il faut réfléchir, et même trottoir par trottoir. Il y a aura évidemment des chantiers d’ampleur à mener, mais s’adapter c’est aussi accepter d’y aller pas à pas.
Pour mieux le comprendre, on vous emmène avec nous pour un tour de la ville rose à bicyclette, à la découverte de l’urbanisme climatique, avec les acteurs de la ville.
Première étape de notre visite : la rue de la Colombette, avec le maire de quartier, Clément Riquet. C’est une rue typique des centre villes, étroite, avec des petits trottoirs. Et particulièrement passante : c’est l’un des axes pour sortir du centre. Ici, pour se protéger de la chaleur, on a voulu végétaliser. Des places de stationnement ont donc été remplacées par des arbres dans des bacs de terre.
Un arbre à la place d’un SUV : à première vue le pari paraît gagnant. Mais tout n’est pas si simple ici. Le principal problème des riverains, c’est la taille du trottoir : sur toute une partie de la rue, il ne permet ni de se croiser, ni de passer en poussette ou en fauteuil roulant. Or un bac de végétaux à la place d’une voiture ne règle pas ce problème. Pour les riverains, tout n’est donc pas possible : ici, il faut choisir entre fraîcheur l’été et place sur les trottoirs.
Il faut aussi jouer avec les contraintes du terrain. Ici les réseaux de canalisation passent juste en dessous du trottoir : pas question d’y planter un arbre en pleine terre sans techniques particulières, ici non-mobilisables, de protections des réseaux.
On a aussi pensé à tendre des ombrières, comme ailleurs dans la ville. Sauf que là encore, problème : les murs en briquette ne sont pas assez résistants pour supporter la structure. Alors faute de mieux, a été lancée dans la rue l’initiative « fleurs sur nos murs ». Sur simple demande des riverains, un agent de la mairie vient creuser un petit trou dans le trottoir. Les habitants prennent ensuite le relai : à eux d’y installer une plante grimpante, de l’arroser et de l’entretenir. La Mairie aimerait pouvoir accompagner le processus, peut être en fournissant des grilles de support pour les plantes.
Nous quittons le centre-ville par une avenue en plein travaux. Ici, c’est certes large mais on n’a pas la place pour tout. « Avant, on aurait réfléchi uniquement de façon à optimiser les mobilités » nous raconte Stéphane Bequet, en charge du plan « Toulouse + Fraîche ». « C’est-à-dire une voie de bus, une piste cyclable protégée et une voie pour les voitures ». Rajoutez à cela des trottoirs assez larges et vous n’avez plus la place pour des arbres. Il a donc fallu arbitrer. Le choix a été fait d’intégrer les arbres. Il a fallu réduire la route : les bus et les vélos partageront une voie.
Dans la rue suivante, nous nous arrêtons à côté de mobilier urbain tout neuf : des fauteuils en bois qui se font face, abrités sous une structure qui supportera bientôt une plante grimpante. Sans ces tonnelles végétales, ces fauteuils ne serviraient à rien en été. S’adapter, c’est donc aussi protéger pour toutes les saisons les espaces de convivialité extérieurs.

Après quelques coups de pédales nous arrivons sur l’île du Ramier qui abritait auparavant le parc des expositions et ses grands parkings. Contrairement à d’autres villes, où ces îles et espaces entres deux eaux ont fait l’objet d’aménagements classiques (ZAC Île de Nantes, ZAC Confluence à Lyon), ici c’est la végétalisation qui reprend le dessus. Dégoudronner, végétaliser, renaturer, dépolluer, et ce sur plusieurs hectares…: les travaux engagés en 2020 sont dans leur dernière phase. Différents types de végétaux ont été testés, avec différentes méthodes d’arrosage, pour choisir au mieux les essences.
Sur l’île on trouve aussi la piscine Alfred Nakache. Un bassin extérieur vient d’y être construit pour stocker l’eau excédentaire généré par l’entretien de la piscine : il aura vocation à arroser les plantes en cas de sécheresse ou de vagues de chaleur.
Car sauvegarder le végétal l’été, c’est un vrai défi. C’est ce que nous explique Guillaume Dumas, climatologue urbaniste – un profil rare – qui nous rejoint alors. Et qui commence par un rappel important : le rafraîchissement apporté par la végétation n’est optimal que si cette dernière évapotranspire, et donc…dispose d’eau.
Les jardiniers paysagistes de la ville, ajoute-t-il, doivent faire particulièrement attention aux jeunes arbres qui viennent d’être plantés : ce sont les plus fragiles en juillet et août. A Toulouse, il a fait très chaud en 2022 comme partout en France, mais l’année affichait également un déficit de presque 50% de pluviométrie. L’été 2024 a été sec lui aussi, avec un phénomène caractéristique des périodes estivales toulousaines : 10% de la pluviométrie de l’année est tombée en seulement 1h début aout, après les fortes chaleurs (36°C) - ce qui montre là aussi l’importance de penser le végétal par et avec le cycle de l’eau. Depuis 2023, les jardiniers suivent justement une formation sur la gestion du nouveau patrimoine arboré.
Sur cette grande île, c’est une véritable mini forêt qui a été plantée. L’objectif est de générer un microclimat rafraichissant pour les riverains de l’autre côté de la Garonne. Mais Guillaume nous montre une grande barre d’immeuble sur l’autre rive. Un peu dépité, il commente : « Ça, ça va bloquer mon courant frais… ». Il nous apprend que selon les dernières études scientifiques, à partir de 25m de hauteur les constructions humaines sont de véritables obstacles au flux d’air, même pour de grands poumons verts. Le rafraîchissement se diffusera plus facilement avec des bâtis plus aérés.
En creusant un peu le sujet des flux d’air, on découvre des choses passionnantes. Guillaume Dumas nous raconte par exemple qu’à la fin d’une journée chaude, quand le soleil est couché, le confort thermique sera meilleur sur un parking de centre commercial périurbain ou une zone d’activités commerciales - même complètement minéralisés - plutôt qu’en centre-ville. Là aussi, c’est une question d’aération : dans des espaces aérés, la chaleur s’évacue vite à la nuit tombée, alors qu’à certains endroits en centre-ville toute la chaleur accumulée reste stagnante et ne parvient pas à s’échapper.
« L’aération est une clef peu maîtrisée en urbanisme moderne, pourtant déjà théorisé il y a des siècles par Giovanni Venturi ou en Allemagne à Stuttgart » indique-t-il.
En repartant, l’équipe nous montre une passerelle pour cyclistes. Le revêtement est clair, ce qui permet de renvoyer la chaleur (c’est ce qu’on appelle l’albédo)…mais là encore tout est question de compromis. « Ici le revêtement est trop clair » nous dit Guillaume : « c’est bien pour l’albédo mais ça éblouit les gens en plein été, en plus de leur renvoyer la chaleur. Et comme il n’y a que des vélos et des piétons qui passent, le sol ne se salit pas vraiment : il reste très clair ».
« L’albédo est contre-intuitif », nous explique-t-il : « c’est positif pour l’îlot de chaleur, mais ça dégrade le confort thermique. Il est donc à utiliser avec parcimonie, au risque sinon de faire de la maladaptation ».
En chemin, on discute des différentes choses que nous ne pourrons pas voir. D’abord des brasseurs d’air mis en place dans toutes les salles de classe de la ville. En été ces brasseurs d’air rafraichissent comme des ventilateurs ; en hiver ils font redescendre l’air chaud qui s’accumule au plafond, limitant ainsi le besoin de chauffage. On parle aussi d’écoles qui sont incitées en cas de vague de chaleur à délocaliser les classes dans des endroits déjà climatisés, comme des musées. Certaines villes le font déjà en Espagne.
Stéphane Bequet, en charge du plan « Toulouse + Fraîche », insiste sur les solutions « low tech » : sur certains immeubles il est plus efficace pour la consommation énergétique de passer un coup de karcher sur le toit pour l’éclaircir et retrouver de la fraicheur naturellement que d’entamer des travaux d’isolation énergétiques longs et coûteux. Un exemple emblématique pour montrer que s’adapter passe parfois d’abord par des petits pas. Stéphane insiste aussi sur la variété des mesures à prendre et ajoute : « on ne veut pas non plus devenir une ville ombrière ».
En chemin dans l’ultra-centre, Guillaume Dumas nous arrête devant une rue très étroite et sans un seul arbre. « Ici dans les modèles informatiques c’est une rue qui ressort rouge foncé pour les ilots de chaleur urbain. Mais elle n’est pas prioritaire : elle est tellement étroite qu’elle reçoit du soleil en direct seulement deux heures par jour. Il y a des chantiers beaucoup plus urgent ».
Quelques mètres plus loin, il nous montre un pont réservé aux piétons une partie de l’année avec des peintures au sol : l’occasion de découvrir que travailler sur l’albédo va plus loin que « peindre en blanc ». Ici des fresques aux couleurs pastel réduisent déjà considérablement la température de surface au sol par rapport au noir. Il suffit de toucher la chaussée pour s’en rendre compte.
Nos derniers coups de pédales nous amènent dans une rue au revêtement tout neuf. Il n’est pourtant pas d’un noir profond comme un enrobé neuf habituel. C’est normal : il a été « grenaillé ». L’idée consiste d’abord à ajouter du calcaire dans l’enrobé puis à passer une sorte de « ponceuse » sur le revêtement un mois après la pose. Vous obtenez ainsi un rendu « vieilli » comme si l’enrobé avait 15 ans : ceci donne un sol plus clair, qui absorbe moins de chaleur et limite l’îlot de chaleur urbain. Avec cette technique, on gagne entre 10°C et 14°C au sol lors des vagues de chaleur par rapport à un bitume classique.
La doctrine de voirie a été mis à jour et désormais toutes les nouvelles rues de la ville sont grenaillées. La prochaine étape est de s’assurer qu’elles le restent : quand des opérateurs de réseau interviennent sur la rue pour réparer un tuyau qui passe en-dessous par exemple, ils rebouchent habituellement avec un enrobé noir. Il faudra donc mettre à jour les cahiers des charges pour y inclure le grenaillage et anticiper de nouveaux frais pour ces interventions.
En repartant, Stéphane s’agace en voyant des arbres plantés en pleine terre là où il y avait auparavant des voitures : le caniveau qui passe derrière récupère l’eau des gouttières, au lieu d’arroser ces nouveaux végétaux. Cette eau, dans la configuration actuelle, filera droit dans la Garonne. La rue suivante le rassure : ici les évacuations d’eau ont été refaites et débouchent directement au pied des arbres. L’adaptation de Toulouse ne fait que commencer…mais elle est bel et bien déjà enclenchée.

Mise à jour : attention ceci dit, tout n’est pas rose dans la politique climatique de la ville comme nous l’écrit justement un lecteur habitant de Toulouse, en contre-point de cet article - commentaire à lire ici.
C’était la 9e édition de la Lettre de Trois degrés. Retrouvez les précédentes ici. A bientôt !
Merci Trois Degrés pour ce récit de votre visite à Toulouse.
Il se trouve que j'y habite, et en vous lisant j'ai été très surpris du regard que vous portez sur la ville, qui m'apparaît manquer quelques éléments cruciaux de la politique générale d'adaptation qui s'y mène...
L'élu aux espaces vert vous a promené afin de vous montrer quelques installations de végétalisation et vous nous en faites le récit sans aucun regard critique. Votre sujet étant l'adaptation au CC, il eut été intéressant de se demander quels étaient les projets à Toulouse qui constituaient des cas notoires de maladaptation, entrant en pleine contradiction avec ces installations de rafraîchissements urbains. Tout projet porté par la ville s'intègre de facto dans le cadre du CC, il doit donc être étudié en questionnant son potentiel d'atténuation et d'adaptation.
Le maire de Toulouse est un fervent soutient à l'A69. Ne pensez-vous pas que cela constitue un fameux exemple de projet en opposition totale avec une politique d'adaptation au CC raisonnable pour une métropole ? l'A69, en poursuivant une politique du tout voiture, ne prépare assurément pas Toulouse à un monde à +3°C.
De même pour la GPSO (la LGV), dont la construction se fait au détriment d'un maillage du territoire par de petites lignes ferroviaires qui permettraient de redynamiser des zones rurales.
La tour Occitanie... (https://france3-regions.franceinfo.fr/occitanie/haute-garonne/toulouse/on-espere-donner-le-premier-coup-de-pioche-pour-fin-2025-le-promoteur-livre-les-details-du-nouveau-calendrier-de-la-tour-occitanie-3096529.html)
La ZAC Malepre, qui grignote encore des espaces naturels en bordure de la ville.
Etc.
De manière plus générale, la ville est engagée dans une dynamique de métropolisation, visant une croissance de la ville en attirant toujours plus de nouvelles personnes. Cette politique n'est pas compatible avec une adaptation sérieuse de la ville au CC.
Enfin, vos analyses gagneraient à intégrer le notion de "justice climatique" : vous êtes vous demandés comment les gens vivaient au 14ème étage des tours qui bordent la rocade ? Tout le monde ne bénéficie pas de la même manière des installations qui vous ont été présentées.
Olivier, habitant de Toulouse
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