#3 - L'autre fresque du climat
C’est l’autre fresque du climat. Une fresque mûrie et construite pendant dix ans, rendue publique en janvier 2023 en anglais, et voici trois mois en français. Cette fresque n’est ni un jeu de cartes, ni un atelier ludique, ni un moment collectif. C’est un pavé démesuré, une épreuve qui demande d’y passer au bas mot quinze à vingt heures, une expérience qui se vit en solitaire, chacun à son rythme.
Concrètement…c’est un roman. Dont le nom donne le ton : Le Déluge. Et si l’on parle d’une fresque, d’ordre littéraire, c’est que le mot colle ici parfaitement. Sur 1000 pages, l’auteur américain Stephen Markley déroule une vaste composition, une épopée politico-environnementale hors-normes : “la traversée ahurissante de trois décennies - la précédente, la nôtre et la suivante - où tout bascule, dans une époque où la démocratie, l’économie, la société et le climat partent en vrille”, pour reprendre les mots de son traducteur, Charles Recoursé.
De 2013 à 2040, l’auteur décrit une société en prise avec le dérèglement climatique, vue à hauteur d’hommes et de femmes - une poignée d’Américain(e)s d’horizons variés.
« La force du Déluge vient de ses personnages : une icône écologiste ambivalente, un scientifique impuissant, des antihéros fascinants », écrit Telerama, qui lui a attribué sa note maximale.
C’est particulièrement vrai pour l’une de ces figures, celle de Kate Morris, « le plus beau personnage, le seul qu’on ne découvre qu’à travers le regard des autres, une militante charismatique dont chaque apparition galvanise le lecteur par sa personnalité hors-norme » (benzinemag.net).
Qu’on ne s’y trompe pas cependant : « omniprésent dès le début et montant graduellement en puissance à chaque décennie, c’est bien le réchauffement climatique qui est le personnage central du roman », observe Le Temps, dont le critique littéraire se dit « subjugué par ce roman, son hyperréalisme, sa crédibilité, sa plausibilité et son ancrage dans nos sociétés actuelles ».
Ce que nous retenons de notre plongée dans Le Déluge
Nous avons tenté l’exercice de sélectionner 5 idées que nous retenons plus spécifiquement de cette lecture (au-delà de ce que nous écrivons dans notre chronique ci-dessus, dont les “deux choix narratifs à souligner”).
Nous les développons (sans spoilers importants sur l’histoire) dans un article dédié, à lire sur ce lien. Les voici en condensé :
1. La force de la fiction pour se projeter et permettre un « transfert de réalité »
2. Des trouvailles de marketing politique
3. Une anticipation des projets de droite dure et d’extrême droite face aux futurs impacts climatiques
4. L’exploitation criminelle du dérèglement climatique par des gouvernements autoritaires contre leurs opposants nationaux ou transfrontaliers
5. Une bonne illustration des impacts climatiques en cascade
La citation de cette édition
Elle n’est pas issue du Déluge mais…de Robert Vautard, co-président du groupe 1 du GIEC (centré sur les bases physiques du changement climatique) :
On entend parfois dire que le groupe 1 du GIEC a fait son travail ; pourquoi aurait-il besoin de produire un nouveau rapport ? D’après les consultations que nous avons menées jusqu’à présent en amont de notre réunion de cadrage du 7e rapport d’évaluation, je pense que nous avons plus que jamais besoin d’un nouveau rapport ! Mais les questions évoluent. Il y a une soif de comprendre : (i) ce qui se passe actuellement, avec tous les événements catastrophiques dont nous entendons parler chaque jour, et si ce qui se produit est compris ou prévu, (ii) compte tenu de la situation actuelle, quels sont les futurs plausibles et s’il pourrait y avoir des « points de bascule » ou des changements brusques, et (iii) ce que nous pouvons faire et comment la physique peut éclairer l’action climatique, en particulier à court terme. (source)
En vrac
On se l’est envoyé en privé, on vous le partage en public :
Cette animation, qui montre la migration prévue de près de 3000 espèces pour trouver de nouveaux habitats à cause du changement climatique.
Cette phrase, frappante (de Tim Urban, et lue chez Stéphane Schultz) : “Nous sommes plus près de l’année 2100 que du débarquement en Normandie”. Dans le même registre : nous sommes bien plus près de 2050 que de 1990. Et très bientôt, nous serons aussi proches de 2050 que de l’année 2000.
Sous ce prisme, les échéances et projections climatiques ne semblent plus si lointaines…
Cette citation : “Pour amplifier la transition écologique, l’enjeu de l’action publique n’est pas de construire un récit désirable, comme on l’entend souvent du côté des agents publics et des élus. Il s’agit plutôt d’organiser la confrontation de ces intérêts divergents autour d’une même table des négociations pour rechercher des lignes de compromis et obtenir des engagements de la part de chaque partie. L’inaction climatique n’est pas un problème de communication, mais de désalignement d’intérêts” (Manon Loisel et Nicolas Rio, auteurs de « Pour en finir avec la démocratie participative ». Citation lue chez Sylvain Grisot).
Il y aurait matière à en discuter mais …ce sera pour une autre fois !
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